Jeunes et seniors : génération(s) climat

Le Mardi 20 décembre 2022

Les jeunes ont-ils les mêmes préoccupations que les babyboomers ? Une grande enquête apporte un éclairage nouveau. Surprise : en matière d’écologie, la jeune génération n’est pas le seul fer de lance des changements.

Générations climat

Le bonheur, cet idéal de bien-être qui a longtemps questionné, obsédé, tourmenté les philosophes, ne semble plus avoir de secrets pour la nouvelle génération. Selon une étude d’envergure réalisée en février dernier*, 82 % des 18-24 ans se disent « heureux » dans la vie. Et 17 % même plus souvent « très heureux » que la génération des parents (10 %) et des babyboomers nés entre 1943 et 1960 (7 %).

Avec une recette toute simple ! Parmi les ingrédients indispensables, ils citent les amis, la famille, l’amour, mais aussi un travail épanouissant. Car contrairement à ce qu’on pourrait croire de cette génération « smartphone en poche », le plus important est d’être bien entouré et cela compte bien plus que d’être riche. 42 % souhaitent un métier qui les passionne avant même d’envisager un bon salaire (25 %) ou la sécurité de l’emploi (6 %).

Des citoyens critiques

Mais si les jeunes sont heureux sur le plan individuel, ils sont pessimistes quant à la situation de la société et de la politique dans son ensemble. D’où une profonde défiance. 55 % des 18-24 ans ne se reconnaissent aucune proximité avec un parti, contre 25 % chez les parents et 20 % chez les babyboomers. « C’est sur ce point que les différences sont les plus significatives, souligne le sociologue et historien Marc Lazar, coauteur de l’étude. Les jeunes demandent des résultats sans s’embarrasser des ancrages politiques. Ils ne considèrent plus le vote comme un devoir, mais un moyen d’expression comme un autre… pas nécessairement obligatoire. »

55 % des 18-24 ans ne se reconnaissent aucune proximité avec un parti, contre 25 % chez les parents et 20 % chez les babyboomers.

Pour autant, le désengagement spectaculaire des jeunes lors des élections ne signifie pas qu’ils se détournent de l’intérêt général. Ils sont tout autant concernés par les questions sociétales et sont prêts à agir pour faire bouger les choses. Parmi les plus grosses craintes figurent les violences faites aux femmes (77 % d’entre eux jugent ce sujet prioritaire), le racisme (67 %) ou encore le terrorisme (66 %).

Et si cette génération est davantage consciente des enjeux écologiques (62 %), c’est peut-être parce que c’est elle qui risque d’en récolter bientôt les effets destructeurs.

Manifestation climat

En quête de sens

Peut-on parler d’une « génération climat » ? Pas si sûr, puisque 90 % des personnes interrogées citent l’écologie comme un sujet important. Cette préoccupation n’est donc plus l’apanage des jeunes, comme le confirment les chiffres d’autres études. Cependant, les formes d’implication sont souvent différentes d’une génération à l’autre. Les jeunes sont en effet plus nombreux à se mobiliser collectivement dans la rue ou sur les réseaux sociaux. Depuis 2018, les grèves pour le climat, un mouvement lancé par la très jeune militante suédoise Greta Thunberg, ont trouvé un écho mondial retentissant. « Le changement climatique est inéluctable. On n’a plus d’autre choix que de changer cette fatalité en opportunité pour la rendre constructive, quitte à bousculer un peu l’ordre établi », témoigne Léo, 17 ans, lycéen à Grenoble.

D’autres, très diplômés, décident de tout « plaquer », de renoncer à un gros salaire pour se réorienter vers l’agroécologie, l’artisanat ou l’engagement associatif. Certes minoritaire et souvent limitée à un milieu pouvant se le permettre, cette remise en cause en profondeur du modèle est révélatrice des questions de sens qui agitent la jeunesse. « À quoi cela rime-t-il, de se déplacer à vélo, quand on travaille par ailleurs pour une entreprise qui participe aux ravages sociaux et écologiques en cours ? », questionnent-ils.

Des contradictions

Mais si les jeunes témoignent parfois leur colère vis-à-vis des générations antérieures qui ont, selon eux, laissé la situation s’aggraver en toute insouciance, ils ne sont pas à l’abri des contradictions. Lucides, ils font part de leur envie d’agir à titre personnel, tout en reconnaissant parfaitement leur passivité dans les faits, englués dans cette société de consommation qui sait très bien activer le levier du plaisir. Ainsi, les jeunes n’en sont pas à renoncer à leurs projets de voyages en avion ou à limiter leurs usages numériques.

Manifestations climat

Les seniors auraient même une longueur d’avance pour trier leurs déchets, consommer davantage bio et local. Moins tentés par les soldes et les objets high-tech, ils réduisent aussi mieux leur consommation électrique**. Témoins d’une génération qui a construit un modèle social basé sur la solidarité, les babyboomers ont ainsi leur mot à dire et leurs conseils à donner.

« Il faut écouter cette part de la jeunesse porteuse d’interrogations et d’angoisses, sans se priver non plus de la mettre parfois face à ses incohérences, sans jugement », pointe la sociologue et politologue Anne Muxel. Surtout, il serait injuste de faire peser sur la jeunesse seule la responsabilité de son avenir, en réclamant d’elle une implication que le monde politique et les entreprises tardent tant à mettre en oeuvre. L’incohérence vient peut-être aussi de là.

 


* « Une jeunesse plurielle – Enquête auprès des 18-24 ans », étude réalisée en septembre 2021, dans un moment de répit de la pandémie, par l’Institut Montaigne auprès de 8 000 jeunes âgés de 18 à 24 ans et des deux générations qui les ont précédés : leurs parents, avec un échantillon de 1 000 personnes de 46 à 56 ans, et les boomers, avec un échantillon de 1 000 personnes de 66 à 76 ans.

** « Environnement, les jeunes ont de fortes inquiétudes pour le climat mais leurs comportements restent consuméristes », étude du Crédoc pour l’Ademe, décembre 2019.

Pour aller plus loin :

Les livres :

  • Les Français sur le fil de l’engagement ; Adélaïde Zulfikarpasic et Anne Muxel, Éd. de L’Aube.
  • L’Autre à distance – Quand une pandémie touche à l’intime ; Anne Muxel, Éd. Odile Jacob.
  • Politiquement jeune, Anne Muxel ; Éd. de l’Aube.
  • Tout comprendre (ou presque) sur le climat ; Jean-François Doussin, Éd. CNRS.

Sur Internet :

  • Une jeunesse plurielle – Enquête auprès des 18-24 ans, Olivier Galland et Marc Lazar, disponible sur le site www.institutmontaigne.org