Repenser la ville

Le Mercredi 23 février 2022

Pollution, densité urbaine, embouteillages, énergie… dans tous les domaines, les villes battent des records.

Repenser la ville

Jusqu’ici, le développement durable semblait le mieux indiqué pour inverser la tendance. Or, de plus en plus de voix s’élèvent : c’est la consommation même des cités et de nos besoins, qu’il faut revoir. Un impératif, désormais…

Longtemps perçu par les collectivités comme une solution pour concilier environnement et croissance économique, le développement durable interroge : est-il logique de continuer à chercher à se développer alors que les limites planétaires sont déjà atteintes ? Selon un récent colloque organisé par l’Ademe, les politiques publiques en la matière n’auraient finalement pas prouvé leur efficacité. « La croissance verte est un non-sens car elle ne questionne pas nos réels besoins », assure Sébastien Maire, Délégué général de France ville durable (FVD).
 

Changer les mentalités

Plus radicale, la sobriété s’impose dans les débats comme le modèle à suivre pour repenser nos villes. Au cœur de cette notion, la modération, la simplicité ou encore la frugalité. « Pour l’urbaniste, il s’agit de questionner les véritables besoins des habitants et du territoire et de les satisfaire en limitant leurs impacts sur l’environnement », précise Sébastien Maire. Dans cette optique, la ville de demain, selon FVD, doit réduire ses consommations avant de chercher à « verdir » la production d’énergie, limiter les déplacements domicile-travail avant de créer des infrastructures de transport, réduire les déchets à la source, réemployer, réparer, avant de recycler…

Logique ! Mais ni les urbanistes, ni les architectes, ni les collectivités n’avaient encore réussi à véritablement l’intégrer dans les rouages de nos villes. « Il faut accepter une vision du futur différente de celle qui nous a été promise à la fin du XXe siècle. Une vision plus sobre, plus réaliste mais qui peut être aussi plus désirable. C’est un vrai changement de point de vue », assure-t-il.

D’autant que la sobriété présente des avantages immédiats pour les collectivités. Dans l’Orne, la commune d’Argentan a pris par exemple la décision d’éteindre l’éclairage public de 23 h 30 à 4 h 30, avec l’approbation de ses habitants, et sans qu’aucune augmentation de la criminalité n’ait été constatée. Résultat ? Une économie sur l’année de 90 000 euros… et une voûte céleste qui se dévoile davantage aux yeux des citadins. « Tout l’enjeu est de montrer que la sobriété, c’est aussi une façon d’améliorer la qualité de vie », poursuit Sébastien Maire.

 

« La sobriété coûte bien moins cher au contribuable que le développement durable, pour des résultats bien plus tangibles et mesurables. » 

Sébastien Maire, Délégué général de France ville durable

 

Faire mieux avec moins

En matière de bâtiment, les collectivités se penchent également sur des choix plus économiques. Confrontée à une forte croissance démographique, la métropole de Bordeaux vient de lancer le label « bâtiment frugal », un nouvel outil qui prône la réhabilitation et la mesure. « Si performante soit-elle, une construction neuve ne compensera jamais l’économie de foncier, d’énergie, de carbone ou de matériaux que représente un bâtiment existant réhabilité », souligne ce référentiel qui compte 42 critères. Toutes les phases du projet sont ainsi décortiquées afin que le bâtiment s’adapte aux territoires, aux usages, au climat local et aux besoins.

Dans les écoles d’architecture, d’ingénieurs ou d’urbanisme, les formations évoluent peu à peu pour prendre en compte cet impératif d’une ville durable, plus frugale, utilisant la technologie à bon escient.

Les étudiants apprennent à raisonner à partir de l’existant, en réutilisant des bâtiments et en se servant de matériaux biosourcés et recyclés. La question des besoins réels s’ancre également dans de nouvelles formations qui valorisent la prise en compte des habitants et de leurs usages dans la « fabrique » de la ville. Pour un urbanisme plus participatif, plus attentif. Avec l’idée de redéfinir ensemble les politiques du « juste besoin ».

Focus : mobilités de demain

« Le véhicule du futur a deux roues et un guidon : c’est un vélo », écrivait le journaliste Clive Thompson, dans Wired Magazine, en 2018. Pas faux…

Depuis la crise sanitaire, le vélo connaît un surcroît d’engouement en répondant notamment aux enjeux de la distanciation sociale. Pour les villes, il s’agit d’accélérer le développement d’infrastructures sécurisantes, tout en profitant de la diversification de l’offre au cours des dernières années : vélo classique, mais aussi vélo à assistance électrique (VAE) – certains étant débridés à 45 km/h – ou vélo-cargo (pour le transport de charges) sans oublier la trottinette électrique, le gyroroue… Les VAE sont, en outre, adaptés à des trajets de 10-15 km (soit 30-45 minutes), tout en facilitant la pratique d’anciens automobilistes.

Bref, voici un autre exemple des bénéfices – y compris en termes de santé – qui pourraient résulter d’une plus grande sobriété dans nos villes.

Jardins partagés

Des villes autosuffisantes

Des graines vertes, il s’en sème beaucoup en ville, ces dernières années, et pas que dans les jardins partagés. Balcons nourriciers, toits-jardins, micro-fermes… ces exemples d’agriculture urbaine se développent avec l’objectif de lancer le débat sur l’autosuffisance alimentaire et de réduire le bilan carbone des cités grâce à un approvisionnement de proximité.

« Même si le mouvement prend de l’ampleur, l’agriculture urbaine ne sera jamais suffi sante pour nourrir les urbains », estime Sébastien Maire, qui reste cependant convaincu par sa dimension pédagogique et sociale. D’où l’urgence, selon lui, de concevoir un environnement urbain bien plus en lien avec sa périphérie. « La coopération est essentielle. On nous a longtemps enfermés dans l’idée qu’il fallait forcément des territoires en compétition les uns avec les autres pour favoriser le développement. Mais peut-on accepter qu’il y ait des territoires perdants ? ».

L’objectif est limpide : abandonner l’idée d’être le citadin d’une ville, mais plutôt l’habitant d’un territoire, d’une planète…

Témoignage

« La ville n’est pas une somme de constructions, c’est un projet social »

Économiste et urbaniste reconnu pour ses travaux consacrés à la ville durable, Jean Haëntjens est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages dont Éco-urbanisme, La ville frugale ou Smart  city, ville intelligente : quels modèles pour demain ? Il est aujourd’hui consultant en prospective territoriale et en stratégies urbaines (Urbatopie).

Existe-t-il une architecture de la ville durable ?

Jean Haëntjens : Penser qu'il existe une forme de ville idéale est dangereux[1]: on a tenté de le faire avec les grands ensembles, et le moins qu'on puisse dire, c'est que ça n'a pas été un succès... Tout l’art de l’urbanisme, c’est de faire la synthèse, de concilier des contraintes et des désirs. Néanmoins, la ville souhaitable, celle d’ailleurs qui est désirée depuis la crise sanitaire, reste une ville de taille moyenne avec des maisons de ville, des petits collectifs et une vie de quartier – comme Nantes ou Angers. La voiture n’est pas dominante et la plupart des trajets se font en mobilité douce.

Faut-il faire des villes plus compactes ?

Jean Haëntjens : Certes, on évite l’étalement urbain. Mais l’idée de revenir à la ville compacte qui a prévalu jusqu’au milieu du XXe siècle, avec la population regroupée autour d’un centre unique, je n’y crois pas. Il faut arrêter de tout centraliser et réfléchir à plusieurs polarités. Des villes comme Bordeaux, Turin ou Barcelone tentent de le faire afin de fluidifier les déplacements et d’offrir aux citadins un accès rapide aux services essentiels. On parle à ce propos de la « ville du quart d’heure », où tout peut se faire à pied ou à vélo en moins de 15 minutes à partir de chez soi… ce que les périodes de confinement ont rendu plus désirable.

L’urbanisme peut-il transformer notre rapport à la ville ?

Jean Haëntjens : L'urbanisme raconte ce que nous sommes. Le Moyen Âge a eu ses villes fortifiées et ses cathédrales, le XIXe siècle ses boulevards et ses lycées. Nous avons nos zones d’activités et nos lotissements. Rien n’est figé. Actuellement, le secteur de la grande distribution souffre, concurrencé par l’e-commerce et le regain des commerces des centres-villes. Les villes se reconstruiront peut-être sur ces immenses nappes de parkings et remplaceront les hangars en tôle par des habitats écologiques. Pourquoi pas ? Une chose est sûre : l’urbanisme doit devenir un moyen d’appropriation de modes de vie plus durables face à l’urgence environnementale.


 

Pour aller plus loin :

Les livres :

  • Construire plus vite la ville durable : nouveau modèle et partenariats ; José-Michaël Chenu, Éd. Eyrolles.
  • Villes durables - Quelles villes pour demain ? ; Christophe Rymarski, Éd. Sciences humaines.
  • Comment consommer avec sobriété - Vers une vie mieux remplie ; Valérie Guillard, Éd. De Boeck.

Sur Internet :